Thierry Noëllec a fait de l’art de résoudre (ou mieux ! prévenir) les conflits, son métier. Toutes les entreprises sont concernées, y compris les Femmes de Bretagne, lorsqu’elles décident de travailler ensemble. Alors autant ne pas attendre pour bien s’entendre !

Thierry, quel a été votre parcours avant de devenir médiateur ?

Après mes études (à quinze ans j’ai fait l’école hôtelière), je suis parti travailler aux Etats-Unis, pendant quatre ans. Au Texas, puis au Colorado. A Aspen, une station de ski fréquentée par les stars et les millionnaires, on allait faire à manger chez les gens, genre « Chef at Home »… Je suis rentré en France, en 1987, et j’ai été pendant quinze ans directeur de golf, à Blois, puis en Alsace.

Vous ne souhaitiez pas continuer dans le domaine de la restauration ?

Non, je n’ai vraiment pas étudié la cuisine par vocation ! Ce qui me plaisait quand je suis parti faire l’école hôtelière, c’est qu’elle se trouvait à Clermont Ferrand, loin de chez moi, et que j’y étais en pension ! Je ne rentrais à la maison que pour les vacances, à Auray…

Quelles études vous auraient plu ?

A 15 ans, je voulais être journaliste. Je l’ai dit à mes parents, qui m’en ont dissuadé… Du moins c’est le souvenir que j’en ai ! J’aimais déjà écrire, je voulais voyager, mais surtout je voulais quitter l’univers dans lequel j’avais grandi. Pendant ces années où j’étais directeur de golf, j’ai entrepris une psychanalyse, qui a duré de longues années. Et en 2002, après m’être formé à ce métier à Genève, je me suis installé à mon tour comme psychanalyste, à Mulhouse.

Que vous a apporté la psychanalyse, à commencer par la vôtre ?

Elle m’a guéri de mon mal de vivre. Je  n’allais pas bien et il était devenu impérieux pour moi d’aller chercher des réponses, en me faisant aider d’un professionnel. A cette époque, les thérapies brèves ne fleurissaient pas comme aujourd’hui. Les gens oublient que la démarche qui nous amène à nous transformer, demande un investissement, du temps, beaucoup de courage. On ne change pas en un coup de baguette magique ! Il faut du temps pour intégrer en soi les changements. C’est un chemin difficile mais libérateur !

Vous aimiez votre métier de psychanalyste ?

Oui, j’ai exercé pendant cinq ans, et cela marchait bien pour moi, je faisais aussi des conférences… La nature humaine est passionnante mais l’ennui a fini par me rattraper, et un jour, en 2007, j’ai saisi une occasion de partir travailler à l’étranger. On m’a donné 24 heures pour répondre à cette proposition !

Laquelle ?

On m’a proposé un poste de directeur à Luba, en Guinée Equatoriale, d’une plate-forme pétrolière d’une centaine de personnes. Je gérais une « base vie »,  entre l’hôtel et la pension de famille… Il y avait des gens de toutes nationalités et de conditions différentes. Nous n’étions que deux Français. Sur cette plate-forme pétrolière, l’isolement peut être difficile à vivre. Certains restaient des mois sans voir leur famille. Les femmes et l’alcool y étaient interdits ! Je devais m’occuper d’eux, veiller à ce qu’ils ne manquent de rien…

Quel changement par rapport au cabinet feutré du psy ! En même temps votre connaissance de la nature humaine a dû vous être utile pour faire vivre ensemble tous ces hommes ?

Oui, c’était un poste de directeur avec toutes les responsabilités que cela implique, mais le vrai challenge était de préserver de bonnes relations entre ces hommes vivant en vase clos, coupé du reste du monde. Ce qui veut dire être à l’écoute des besoins des uns et des autres, être diplomate. J’ai beaucoup aimé ce travail. En fait j’étais déjà dans un rôle de médiateur. L’anglais et l’espagnol (la langue du pays), étaient les deux langues utilisées pour communiquer.

Ce qui vous avait manqué avec la psychanalyse, c’est la vie au sein d’un groupe, les relations même complexes, au sein d’un groupe ?

Oui, j’ai beaucoup appris grâce à la psychanalyse. Mais là où je me sens à ma place, c’est aussi dans l’action et dans la médiation. Etre capable de rétablir le dialogue ou faire que des gens que tout oppose se parlent, se rapprochent !

C’est pour devenir médiateur que vous êtes rentré en France ?

Oui et non ! Je n’ai pas choisi de mettre un terme à cette expérience ! Pour des raisons obscures tenant à la politique du pays, j’ai été obligé de quitter le territoire du jour au lendemain, comme d’autres français, pour notre sécurité. Je n’ai même pas pu prévenir mes proches, la famille et les amis que je m’étais faits pendant toutes ces années. J’ai dû tout laisser là-bas, et suis rentré sans un sou en poche, et sans droit au chômage. J’avais 56 ans…

Cette cassure brutale a dû être très dure…

Oui. Je suis retourné vivre dans ma famille, à Auray. Sans indemnités ni ressources, je n’avais pas d’autres choix que de me battre. J’ai réfléchi et réalisé que mes expériences passées m’avaient préparé à ce rôle de médiateur, et que je m’y sentais bien !  J’ai fait une formation de six mois à Paris, et je me suis lancé.

Quelle qualité faut-il pour être un bon médiateur ?

Je dirais simplement que c’est… le « goût des autres » ! J’emprunte cette formule à ce film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, plein de sensibilité. Cela me parle… De l’intérêt, et de l’empathie pour les autres. Et puis l’expérience de la vie !

Le métier de médiateur est peu connu, à quoi l’attribuez-vous ?

En France il est peu connu (sauf peut-être en Alsace), contrairement à  la Suisse ou l’Allemagne. En France, on n’a pas vraiment une culture de la médiation. On peut le voir au niveau des syndicats, on est plutôt dans une logique d’affrontement systématique, alors qu’ailleurs en Europe, on va d’abord privilégier le dialogue pour sortir d’une crise ou l’éviter. C’est pareil avec la justice. Les tribunaux sont saturés de dossiers à traiter. Le recours plus fréquent aux médiateurs permettrait de faire des économies de temps et d’argent. Au Prud’hommes par exemple, qui traitent les conflits dans l’entreprise, quelle que soit la taille du dossier et l’importance du conflit, on est obligé de faire appel à quatre juges et un greffier !

Quelle est la différence entre médiation et conciliation ?

Le  mot « médiateur » est parfois utilisé un peu abusivement. Le médiateur ne fait jamais de conciliation (en France en tout cas, contrairement aux Etats-Unis). Il règle des litiges : on n’est pas d’accord mais on peut se parler. Le médiateur utilise la maïeutique : c’est-à-dire que la résolution du conflit doit émerger des protagonistes. Le médiateur va agir et guider des entretiens – avec tout son savoir faire ! – pour que les personnes qui s’opposent en arrivent à faire émerger une solution qui vient d’elles. Dans la conciliation, on doit se débrouiller pour trouver une solution intermédiaire, quitte à l’imposer aux différentes parties. C’est une solution moins satisfaisante pour moi !

Dans quels domaines intervenez-vous ?

J’interviens aussi bien pour les petites que pour les grosses entreprises, (certaines grosses entreprises disposent de  leur propre médiateur en interne, comme France 3, Bouygues, l’Apec, l’Ursaff, mais c’est rare). Je fais aussi de la médiation judiciaire à la demande d’un juge, avec une association, l’AMBO. Les choses sont en train de changer en faveur de la médiation. La loi sur la médiation dans les litiges de la consommation, par exemple, dit maintenant qu’avant d’arriver devant un, juge, on doit prouver qu’on a essayé d’autres méthodes, médiation ou conciliation. C’est tout de même un progrès !

Dans quels cas et de quelle manière pouvez-vous aider les créateurs d’entreprise, les indépendants ?

Le développement des micro-entreprises, de l’auto-entreprenariat, qui facilite l’accès a l’emploi, augmente aussi les possibilités de conflits, car on oublie parfois de cadrer les choses, de faire signer des contrats… Idem, avec le recours au CESU (Chèque emploi service), qui nous donne un statut d’employeur auquel on n’est pas toujours préparé.  Le conflit peut porter sur la rémunération, le résultat, les conditions du travail… Au lieu d’aller jusqu’au procès parce qu’on ne peut se mettre d’accord, on  devrait penser au médiateur ! Je travaille aussi avec les TPE et les travailleurs indépendants qui s’associent pour travailler ensemble, afin de prévenir les conflits. Pour cela, j’ai mis au point une méthode simple et utile.

On aimerait en savoir plus !

Imaginons deux femmes qui sont amies dans la vie ou qui ont de bonnes relations, et qui décident de s’associer. Le risque de conflit, plus ou moins sérieux, est là, puisque cela fait partie de la nature humaine, et qu’en plus on mêle l’affectif et le travail.  Et l’injonction : « Il faut qu’on se parle », quand ça va mal, ne marche pas ! Le processus que je propose comprend trois outils, présentés en deux entretiens de deux heures environ. On se revoit six mois après la mise en place de ce « contrat » et de ces outils. C’est de la prévention des différends. Si on le veut vraiment, on peut travailler ensemble en préservant une amitié !

Vous semblez très actif dans divers réseaux…

Oui, je suis très « réseaux » ! Je fais partie du réseau lorientais Networking, de BNI, de l’Institut français de la médiation, de l’AMBO (Association des médiateurs de Bretagne Ouest), de la Société des Médiateurs Français.

Qu’est-ce que vous aimez dans la vie ?

Les différences ! Je n’ai jamais compris la xénophobie, je suis un vrai « xénophile » ! J’aime Lorient, qui est une ville rugueuse, et j’aime la poésie du rugueux. J’aime ses pylônes électriques ! J’aime la musique contemporaine et Game of Thrones… J’aime écrire. Cela fait longtemps que j’écris ; de la fiction, du polar, de préférence des choses « non publiables », et non publiées ! J’en suis à mon 7e roman ! C’est à ça, et à mon blog, sur la médiation, que je consacre mes temps libres. Et j’aime mon travail !