Christine Debray-Laizé, violoniste, chanteuse et comédienne, met en scène, avec son mari conteur et percussionniste, des contes musicaux pour enfants. Cette artiste généreuse et passionnée de transmission aborde avec eux le thème de la mort, dans sa dernière création, La Sonata Miho. Pour mieux célébrer la paix et à la vie.
Bonjour Christine, sur le site internet de la Ronde Bleue, on peut lire : « Parce qu’ils sont le monde de demain, parce que nous croyons que l’art peut transformer un regard, parce que nous aimons l’authenticité de leur présence, nous avons choisi de créer pour et avec les enfants. » C’est un peu le credo de la compagnie ?
J’ai beaucoup de plaisir à créer des spectacles pour enfants et à leur transmettre l’amour de la musique. Les enfants ont beaucoup à nous apprendre, ils savent être là, totalement, dans l’instant présent, et ils sont vrais. Avec La Ronde Bleue, j’essaye de réunir ce qui compte beaucoup pour moi : la musique, l’art, le partage, l’enfance, la transmission.
Les spectacles de la Ronde Bleue sont de grande qualité. Tu peux nous les présenter en quelques mots ?
Les spectacles de La Ronde Bleue se veulent une ouverture sur le monde, riches de sens. Nous faisons voyager les enfants, grâce à la musique et les contes, à travers d’autres cultures, d’autres pays. Par exemple, avec Zouna qui est un spectacle inspiré d’un conte gitan, nous avons travaillé avec un chanteur et guitariste flamenco. La danse du Renne et du Korrigan est né de notre rencontre avec une éleveuse de rennes et la culture Sami (de Laponie). La Sonata Miho, elle, nous emmènera au Japon…
Tu fais aussi de l’initiation musicale, au travers d’ateliers ou de spectacles, y compris pour les tout-petits…
Oui, comme avec le spectacle Capucine, pour les 0 à 3 ans, ou Souffle et grandit, pour les 3 à 6 ans, qui est une initiation à la musique classique. Pour Capucine, je me suis basée sur les enseignements de Maria Montessori, qui est pour moi depuis longtemps une référence. Sa pédagogie m’a toujours beaucoup inspirée pour l’enseignement de la musique.
Tu es diplômée du Conservatoire National Supérieur de Paris, où tu as appris le violon alto. Tu viens d’une famille de musiciens ?
De musiciens amateurs mais passionnés ! Ce sont mes parents qui m’ont initiée à la musique. A la maison (j’habitais Au Mans), mon père jouait de la guitare et ma mère chantait tout le temps. Et avec ma grand-mère agricultrice, en Bretagne, je chantais dans les fêtes de famille. Ce sont de très bons souvenirs. J’ai grandi dans une famille joyeuse, ouverte aux autres.
Ta prochaine création s’appelle La Sonata Miho. Elle est inspirée d’une histoire vraie…
Oui, elle est basée sur l’histoire vraie de Sasaki Sadako (surnommée « Miho » dans le spectacle, « celle qui chante »), une enfant japonaise de 12 ans, atteinte de leucémie suite au bombardement d’Hiroshima. Dans la tradition de l’origami, cet art du pliage au Japon, il y a la grue, qui est un bel oiseau. Une légende dit que si l’on plie 1000 grues, le vœu que l’on fait peut se réaliser. Sadado a plié 644 grues, comme autant de petites prières pour sa guérison et la paix dans le monde. Elle n’a pas survécu à sa maladie, mais ses camarades de classe ont continué pour elle, et collecté de l’argent pour construire un mémorial à la paix. Depuis, chaque année, dans le monde entier, des grues sont envoyées à ce mémorial, où elles forment de belles guirlandes colorées. Le message de cette histoire, qui s’adresse aux enfants mais touche aussi leurs parents est : « vous pouvez être des acteurs de paix » !
C’est ce message que tu veux transmettre à ton tour, en créant La Sonata Miho ?
Oui, c’est un message d’espoir, dont on a grand besoin actuellement. Quand j’ai découvert l’histoire de Sadako, et cet élan qui s’est créé autour d’elle, j’ai été très touchée. Le thème de la mort y est présent, mais il est transcendé par cette légende des 1000 grues, et par l’élan très fort venu de cette petite fille et de tous ses camarades. Ces petits Japonais ont réussi à lancé un appel à la paix qui a fait le tour du monde, et qui continue aujourd’hui à transformer les gens. Les enfants se passionnent pour cette histoire.
La mort et particulièrement la mort d’un enfant est un sujet tabou dans notre société, rarement abordé car il est douloureux et qu’il fait peur…
Oui, mais j’ai eu vraiment besoin d’aborder ce sujet. L’année dernière, mon fils qui avait 4 ans a pris conscience de la mort. Il nous posait beaucoup de questions comme « Pourquoi on meurt ? » « Maman, est-ce que tu vas mourir un jour ? » Il a été comme ça pendant des semaines. J’essayais de calmer ses angoisses ; au début pour ne pas le heurter, je lui ai dit que je mourrai quand je serai vieille. Ce n’est que quand on lui a dit la vérité : « Oui, je vais mourir un jour, et je ne sais pas quand, et c’est pareil pour nous tous », qu’il s’est apaisé. Je pense vraiment que les enfants ne sont pas dupes, ils pressentent beaucoup de choses et savent bien au fond d’eux-mêmes quand on leur ment. En parlant de cela avec d’autres parents, je me suis rendue compte que beaucoup cachaient la vérité à leurs enfants, qu’ils avaient peur d’en parler. Ensuite sont arrivés les attentats…
Comment ont réagi tes enfants face à cette violence ?
A la maison nous n’avons pas la télé, mais les enfants en parlaient entre eux à la récréation. Mon fils, comme beaucoup d’autres enfants, est revenu le soir de l’école avec des questions comme : « pourquoi le monsieur il s’est fait exploser ? » Et après, il y a eu les exercices de confinement dans les écoles, qui ont suscité d’autres interrogations… La violence fait partie de ce monde, mais avec les médias, internet ou en entendant les conversations des adultes, ils sont vraiment bousculés par elle.
En mettant en scène La Sonata Miho, tu invites les enfants « à regarder le monde tel qu’il est, mais en leur montrant qu’ils ont en eux le pouvoir de le transformer ». Pour cela La Sonata Miho est plus qu’un spectacle !
Oui, c’est un vrai projet de territoire qui va durer plusieurs années et qui lie le social, l’artistique et le pédagogique. La Sonata Miho est déclinée sous une forme courte (La Sonatine), qui ira dans les écoles, les médiathèques, les salles de spectacle, mais aussi les hôpitaux, les instituts spécialisés… Elle donne lieu à des ateliers d’écriture, où les enfants peuvent écrire à la petite Miho, leur peur, leur colère, toutes leurs émotions. Ce qu’il faut c’est qu’ils ne gardent pas ça au fond d’eux. Il y a aussi des ateliers de découverte de la culture japonaise : l’origami, les percussions japonaises, la danse Buto, etc. Pour accompagner le montage de ce projet, la Ronde Bleue bénéficie de l’accompagnement d’une experte du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, depuis plusieurs mois. L’aventure vient de commencer, en pays de Brocéliande. A Iffendic par exemple, le projet réunit la médiathèque, la mairie, le centre culturel, les deux écoles, le foyer de vie et la maison de retraite. C’est une occasion rêvée de construire la paix à l’échelle d’une ville ! Ce projet vise aussi à créer du lien entre voisins, parents et enfants…
Comment ont réagi les professeurs de l’école d’Iffendic où a démarré le projet ?
Les équipes enseignantes sont épatantes, et les enfants avaient plein de choses à exprimer et de nouvelles idées. Cela a été magique de voir le projet démarrer et prendre forme, et les gens touchés…
Peux-tu nous parler un peu de la scénographie de La Sonata Miho ?
Le spectacle mêle les instruments japonais, – la flûte traditionnelle et des percussions comme le Taiko -, et Jean-Sébastien Bach. C’est un pont entre l’Orient et l’Occident. J’ai le plaisir de jouer La Chaconne, cette œuvre que j’adore et qui mêle si bien tristesse et joie. Le décor met en scène les origamis fabriqués par les enfants, des animations évoquant le voyage des grues dans le monde intérieur de la petite fille. Une création sonore fait entendre les voix des enfants, lisant les lettres qu’ils ont écrites à Miho…
Comment la disparition de Sadako est-elle évoquée ?
Miho était shintoïste, elle croyait aux esprits de la nature. Dans le spectacle, elle se fond peu à peu dans la nature, en déchirant un fil de soie, qui est comme une porte entre le monde de la vie et de la mort. Derrière la porte, il y la nature, le jardin, qui ouvre sur plein de possibles. Et puis, malgré sa mort, on voit que Sadako est encore vivante à travers nous, à travers le récit qu’on en fait, et le message qu’elle a laissé. De même que la musique de Bach écrite il y a longtemps est toujours bien vivante aujourd’hui.
Tu aimes les voyages et tu es passionnée par le Japon depuis longtemps je crois ?
J’ai eu la chance de voyager lorsque j’étais altiste. Au Japon, j’ai même eu l’honneur de saluer l’empereur ! La culture japonaise m’a toujours attiré. Le tir à l’arc, l’aïkido, la philosophie et la spiritualité orientale… cela m’a toujours accompagnée.
Les premiers spectacles de la Ronde Bleue ont été montés sans subventions…
C’est vrai, tous nos spectacles ont été montés jusqu’ici en auto-production, toujours avec l’idée de faire confiance à la vie, de suivre les « chemins de traverse ». On a trouvé un appui auprès des bibliothèques, des écoles, des petits centres culturels, et rencontré des gens supers qui croient en l’art et en la beauté. Il y a toujours plein de belles choses et de rencontres qui arrivent quand on fait confiance. Mais là, on s’est embarqué dans une grande aventure, qui va durer plusieurs années. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur une équipe formidable avec La Ronde Bleue, regroupant artistes et bénévoles.
Chacun peut donc être co-créateur avec le financement participatif que vous avez lancé sur HelloAsso…
Oui, ce qui est bien c’est que le fait d’avoir besoin de trouver de l’argent fait parler du projet. Les gens se sentent un peu plus partie prenante, et on les informe au fur et à mesure de l’avancée du projet, par mail et sur notre page facebook. Nous cherchons actuellement des entreprises ou des personnalités qui ont envie de devenir mécènes. Chacun peut s’impliquer avec le crowdfunding, en participant même avec un petit don. On a besoin de partenaires, mais aussi de l’implication des parents, des éducateurs, des élus. Et de tous ceux qui ont envie d’être acteurs de paix.
Vous avez aussi une nouvelle marraine, Magda Hollander Lafon (Rennaise d’origine hongroise, psychologue pour enfants, elle est l’auteure du livre « Quatre petits bouts de pain », où elle parle de sa résilience après sa déportation et la disparition de toute sa famille.)
Je suis très heureuse que Magda Hollander Lafon soit maintenant marraine de La Sonata Miho. C’est important qu’elle soit là à nos côtés… J’ai découvert son témoignage en 2015, quand avec son association « Vivre en paix ensemble », elle a invité les gens à écrire leur « petits bonheurs » place de la Mairie à Rennes. C’est ce qu’elle a fait toute sa vie, pour survivre, regarder ce qu’il y a de beau dans chaque journée. Surtout les “petits riens”.
Comment a-t-elle accueilli ce projet ?
Avec l’enthousiasme mais aussi l’exigence qui la caractérise, elle a compris notre démarche. Avec elle, nous avons parlé de la meilleure façon d’être toujours au service des enfants. Face à une histoire ils réagissent quelquefois comme si cela leur arrivait à eux aussi, ils n’ont pas toujours de distanciation, alors il ne faut pas faire n’importe quoi. La Sonata Miho montre que l’on peut transformer la noirceur en quelque chose de beau et poétique. Cela change tout ! Ils ne sont pas seuls face à des vérités qui les heurtent et qu’ils ne comprennent pas, comme c’est le cas trop souvent pour eux. Il faut parler vrai aux enfants, être authentique, et les écouter. Quand Magda Hollander-Lafon va voir les collégiens et les lycéens, elle les invite à oser poser des questions, à se rendre compte qu’ils sont importants, à être acteurs de leur vie. Je trouve cela magnifique.
Pour t’aider concrètement ?
– Devenir coproducteur en se rendant un site de crowdfunding « HelloAsso » (don à partir de 5 euros), puis partager le lien sur les réseaux sociaux
– Liker notre page facebook « La Sonata Miho » et partager nos publications pour faire connaître le projet à vos amis.
– Partager avec vos amis les emails envoyés aux donateurs, pour favoriser la recherche de mécènes et la diffusion du message.
– Participer à nos prochains ateliers de danse Buto, avec un maître japonais, (inscription sur le site ou la page facebook)
– Assister aux spectacles qui auront lieu à partir de 2017 et jusqu’en 2020 en Bretagne.
Ne pas hésiter à nous contacter !
Pour retrouver la campagne de crowdfunding : le lien vers helloasso.com
Pour découvrir la Ronde Bleue et le travail de Christine : larondebleue.fr
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