Ludovic Simon, créateur de DoYouBuzz, est à l’origine de nombreux événements autour du web et des start up, qui ont fait de Nantes un haut lieu du numérique. Il partage avec nous, sans langue de bois, son expérience de l’entreprise et ses rêves…

Ludovic, comment est né DoYouBuzz ?

DoYouBuzz est né d’abord d’une forte envie de ma part de participer à l’aventure du web 2.0 ! J’ai fait mes études après l’éclatement de la bulle internet (2001), à une période où le web se reconstruisait… J’ai eu très tôt envie de participer à ce mouvement qui a fait naître Wikipédia, Facebook et tout un tas de start up. En 2006, je travaillais dans un des principaux médias internet, une entreprise de plus de cent personnes, dans laquelle j’avais du mal à m’épanouir. Même si on était dans l’univers très stimulant du web, c’était malgré tout une entreprise classique, très « pyramidale »… J’étais passionné par le web, j’avais plein d’idées et j’étais débordant d’énergie, mais j’étais au bas de l’échelle. Alors mes idées, la direction s’en fichait !

Quel âge aviez-vous ?

J’avais 25 ans. J’ai donc refait mon CV, mais avec l’envie d’innover, de me démarquer ! J’ai utilisé mes compétences en graphisme et développement de sites web et ce que j’ai obtenu a plu à tout le monde. Avec une mise en page soignée et originale et ce format web, interactif, je n’ai eu que des compliments. C’était comme un site vitrine, très clair, bien mieux qu’un CV Word ! Tous mes amis m’ont dit « Je veux le même » ! Alors je me suis dit : « cette idée est géniale ». Il existait déjà des CV en ligne, mais dont le look n’était pas travaillé, pas attrayant.

Comment avez-vous acquis vos connaissances en multimédia et programmation ? Quelles études aviez-vous suivies ?

J’ai fait un master I en communication et médias à Nantes (SciencesCom) et un master II en école d’ingénieur à Angers (ISTIA). J’aime apprendre et j’ai eu la chance de grandir avec beaucoup de livres autour de moi. Mon goût pour internet et l’informatique a fait que j’ai énormément appris tout seul, sur mon ordinateur, grâce aux tutoriels, et en « bricolant » dans mon coin. Donc l’essentiel de mes compétences pour mon métier, je me les suis faites moi-même.

Qu’est-ce qui vous a persuadé de transformer cette idée en start up ?

J’ai creusé mon projet, notamment avec Eric Warin, le directeur de Sciences Com’, qui m’a encouragé dans cette voie. J’ai aussi validé mon idée avec d’autres sponsors du web. Mais j’ai aussi réalisé que pour que cela soit viable, il fallait créer une plate-forme attirant de nombreux utilisateurs, et que cela nécessiterait des moyens financiers conséquents… Je n’avais pas d’argent, je n’avais jamais rien vendu de ma vie… C’était enthousiasmant et effrayant !

Comment avez-vous réuni tout l’argent nécessaire ?

J’ai eu au départ 10 000 euros prêtés par ma grand-mère, ce qui m’a aidé pour obtenir plus de 200 000 euros en prêts, et aides, y compris celles de Pôle Emploi. J’ai compilé au moins huit aides nationales et régionales. Faire ces demandes de financement m’a pris en tout six mois. J’avais un gros dossier de 80 pages qui impressionnait beaucoup, même si je pense que peu de gens le lisait… J’y croyais à fond ! Avec le recul je me dis que toute cette énergie aurait pu être dépensée différemment, notamment pour chercher des clients !

Ce point de vue est intéressant ! En France, on n’est pas assez pragmatique ?

Si on compare avec les Etats-Unis par exemple, là-bas celui qui veut monter sa boîte va tout de suite à la rencontre des clients. Dans notre système, on commence par faire des Business plan et des tableaux Excel ! Il en faut, bien sûr, et d’ailleurs j’aimais faire ça ! Cela tombait bien car j’avais une peur bleue d’aller voir des clients et qu’ils me disent que ça ne les intéressait pas ! Ce qui n’est pas très logique. Maintenant, ce que je conseille aux jeunes qui se lancent, c’est d’aller se confronter au marché le plus vite possible. Autre exemple, dans mes plans j’avais prévu d’atteindre le million de visiteurs en 6 mois, alors qu’il nous aura fallu 8 ans pour ça ! J’étais donc loin du compte. DoYouBuzz vient juste de franchir le million d’utilisateurs, autrement dit rien ne s’est passé comme prévu !

Combien êtes-vous dans l’entreprise maintenant et à qui s’adressent les services de DoYouBuzz ?

Nous sommes neuf. Notre mission à DoYouBuzz c’est d’aider les gens à faire un CV dont ils soient fiers et à trouver du travail. Ils s’inscrivent gratuitement, pour le réaliser, le tester… Et on propose des options payantes, avec des outils et des avantages significatifs, sous forme d’un abonnement « Prémium », à 5 euros par mois. Une partie de nos clients sont donc les demandeurs d’emploi qui cherchent un poste salarié, mais aussi les indépendants qui ont besoin de se faire connaître. Cette partie représente la moitié de notre chiffre d’affaires.

Quelle est l’autre partie ?

Ce sont les écoles et les entreprises. On aide leurs étudiants ou leurs collaborateurs à faire leur CV. On travaille par exemple avec HEC ou l’Université de Nantes, et avec beaucoup de sociétés de services qui ont besoin de mettre en valeur l’expérience de leurs collaborateurs.

Quelles erreurs fait-on couramment quand on fait son cv ?

Faire un CV est un des exercices les plus compliqués qui soit. La grosse erreur qui est faite, c’est qu’on utilise un jargon, celui de l’entreprise ou du secteur dans lequel on a travaillé. Résultat, le recruteur ne comprend pas bien quelle a été précisément votre contribution, alors que c’est ça qui est important. Avec nos outils, on va justement aider à rendre ça clair et compréhensible. Il y a un guidage, pour simplifier la rédaction, et n’oublier aucun élément.

A travers de DoYouBuzz, qu’avez-vous appris sur la recherche d’emploi ?

Tout d’abord, que quand on est chômeur, la confiance en soi est en chute libre, au bout de quelques mois, voire quelques semaines. On peut être vite perdu. Le conseil qu’on entend le plus c’est : « Envoie ton CV à un maximum d’entreprises ». Mais c’est du temps perdu, ça ne marche pas, c’est du spam ! On entend aussi « va voir les offres », mais les petites annonces et Pôle Emploi ne représentent chacun que 7 % du stock d’emploi pourvus ! Cela n’est pas assez dit. Il faut bien comprendre que la plupart des postes qui sont pourvus n’ont pas fait l’objet d’une offre d’emploi.

Donc les postes sont pourvus à l’intérieur même de l’entreprise ? Ou par le biais du bouche à oreilles, des réseaux ?

Oui, 45 % des emplois sont pourvus après une démarche directe du chercheur d’emploi, et 25 % le sont grâce à des relations. N’oublions pas que les ¾ de l’emploi en France se trouvent dans les PME et TPE, et que ces entreprises ont rarement recours à des offres d’emploi ou à des cabinets de recrutement. Il y a là un gisement dont on ne parle pas assez ! Et le meilleur moyen d’y trouver un job est de parler directement au dirigeant, de candidater spontanément, et d’utiliser son réseau.

Les réseaux comme Femmes de Bretagne soutiennent justement la création et le développement de ces petites entreprises…

Oui, c’est pourquoi nous l’avons soutenu lors du crowfunding. J’ai assisté à des tas de conférences autour du recrutement et des Ressources Humaines, et très souvent les débats concernaient les grandes entreprises, les cadres, l’informatique… Il y a un tas de métiers, de secteurs d’activités et donc de personnes qui sont délaissés par ces événements. Quant aux cabinets de recrutement, ils s’occupent beaucoup des commerciaux ou des développeurs informatiques… Mais l’emploi ne se trouve pas que là, on marche sur la tête ! »

De quoi auraient besoin les demandeurs d’emploi ?

De plus d’accompagnement et de considération. On parle des discriminations liées à la race ou au sexe, mais pas de celles qui concernent les chômeurs. Et pourtant, une grande partie des recruteurs aujourd’hui, si vous leur dites que vous êtes chômeur, ils pensent que vous n’êtes pas « bon » ! Comment s’en sortir alors ? C’est un terrible cercle vicieux. Le chômage est un des sujets les moins bien traités qui soit. Hier DoYouBuzz co-organisait le Forum RH à Nantes, et on a parlé de ces discriminations liées au chômage.

Avez-vous mis en place des actions concrètes s’adressant spécifiquement aux demandeurs d’emploi ?

Oui, à DoYouBuzz, en plus de notre service de création de CV, nous avons démarré des « ateliers CV ». Déjà, il faut consacrer les vingt premières minutes à redonner le moral aux gens ! On est dans un système où tout participe au pessimisme ! L’idée, c’est de se remotiver et d’apprendre à mieux se vendre. La tactique pour trouver du travail consiste à cibler ses recherches. Il ne faut pas répondre à des offres, mais s’intéresser à une entreprise et essayer de comprendre ses besoins, pour se positionner comme quelqu’un qui va apporter des solutions.
Pour vous donner un exemple, la moitié des candidatures que je reçois, de la part des gens qui postulent pour travailler chez DoYouBuzz, ne sont pas des CV DoYouBuzz ! C’est à dire que la moitié ne se sont pas vraiment intéressés à l’entreprise. Et ils ne réalisent pas l’importance de prêter intérêt à la personne qui les reçoit, à son activité.

Vous-même au cours de vos études, vous a-t-on inculqué ces notions ?

Non. Dans les écoles de commerce ou de communication, le fait de s’intéresser sincèrement aux problèmes de la personne qui est en face n’est pas enseigné. Moi-même, pendant 6 ans, en voulant développer commercialement mon entreprise, j’ai fait le « vendeur de tapis » avec ma belle plaquette et mon beau costume ! On apprend aux commerciaux à passer cent coups de fil pour avoir dix rendez-vous, et sur ces dix rendez-vous, faire une ou deux ventes. C’est une perte de temps ! Maintenant, à DoYouBuzz, on procède différemment, on n’essaye pas de se vendre à tout prix, on s’intéresse aux problèmes du client. C’est ça qui marche : l’empathie, la bienveillance, car elles créent naturellement du lien, dans la vraie vie comme dans le monde des affaires.

Qu’est-ce qui vous a fait évoluer dans ce sens, personnellement et pour l’entreprise ?

Il y a cinq ans, mon entreprise a commencé à avoir des difficultés, et est même passée pas loin du précipice. Cela m’a fait me remettre en question. J’ai lu le livre Liberté et Cie, de Brian M. Carney et Isaac Getz, sur l’entreprise libérée. Une révélation pour moi ! Je me suis aperçu que j’étais devenu un petit chef, pas de la pire espèce, mais un petit chef quand même… Le pouvoir agit de façon bizarre sur l’ego… J’avais quitté mon entreprise précédente car je lui reprochais d’être trop pyramidale, et en fait je commençais à reproduire les mêmes erreurs. J’ai compris qu’avec l’entreprise libérée, une autre posture est possible pour le manager. Il peut être un leader nourricier, un jardinier, qui arrose les plantes plutôt que de tirer sur les feuilles ! Et c’est beaucoup plus agréable !

Qu’est-ce qui change concrètement dans l’entreprise libérée ?

Dans l’entreprise libérée, tout est basée sur la confiance et non le contrôle. Il n’y a plus de hiérarchie. On discute tous ensemble, car un groupe se trompe moins qu’une personne. Personne ne peut vous obliger à faire quelque chose. Cela demande plus de subtilité que dans un système hiérarchique classique. Il faut être dans l’écoute et dans la transparence, communiquer avec ses collègues.

Economiquement, les résultats sont là ?

Oui, nous on a « sweetché » il y a 18 mois, avec des résultats très encourageants. On prend moins de mauvaises décisions, car tous ensemble on est plus intelligents ! C’est vraiment un grand enseignement pour moi.

Pour un chef d’entreprise, cela doit exiger une vraie transformation… Comment les salariés de l’entreprise ont vécu ce changement de leur côté ?

Cela a été un changement important pour toute l’équipe. Chacun est plus responsable, plus adulte. On est amenés à s’engager plus, on est plus motivés. Les actionnaires de l’entreprise, qui sont des chefs d’entreprise, sont plus sceptiques mais ils respectent notre mode d’organisation et notre culture. Dans le système traditionnel, le patron est la personne clé, et lui-même pense que s’il n’est pas là, tout part « en vrille ». C’est la pensée dominante dans l’économie. L’autre changement majeur, c’est de faire passer les besoins du client avant toute chose, y compris les objectifs de vente.

Vous êtes un des créateurs du Forum RH à Nantes, qui réunit des chefs d’entreprise et des professionnels de l’emploi. Dans les conférences que vous tenez, vous parlez de l’entreprise libérée ?

Oui, lors de ces forums (et aussi lors des petits déjeuners RH qui ont lieu chaque mois), on témoigne de notre propre expérience, et on y réfléchit sur les nouvelles pratiques managériales et organisationnelles. Pendant des années, j’ai assisté à des tas de conférences ayant pour thème : « Le logiciel x », « Comment recruter des talents », « Ma marque employeur est-ce qu’elle est bonne ? » Mais le sujet n’était jamais : « Comment être heureux au travail ? Comment bien travailler ensemble ? ». Les choses changent heureusement !

Parlons maintenant des nombreux événements autour du numérique que vous avez créés à Nantes. On peut parler d’une vraie success story !

Pour moi c’est une chance ! En 2008, un an après la création de ma boite, j’ai vu qu’il n’y avait pas d’événements dans le domaine du web et des start up. J’ai donc décidé d’en créé un, et cela a été un énorme succès. Plein de monde voulait parler startup et web. J’ai donc créé une association, avec deux copains, Atlantic 2.0, qui a maintenant six salariés, un budget annuel de 1 millions d’euros et qui rassemble un réseau de 270 entreprises. Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes à l’époque, nous a beaucoup soutenus. En 2010, nous avons créé la Cantine numérique de Nantes, un espace de co-working qui depuis a fait des petits ! On a ensuite monté le Web2Day, qui est maintenant le plus grand événement web en France, la dernière édition a rassemblé 6000 personnes en 3 jours.

Quelles sont vos envies pour les années à venir ?

J’ai de plus en plus d’engagements dans le domaine de l’entreprise libérée mais aussi de l’économie sociale et solidaire et de l’écologie. J’adore échanger, transmettre, et apprendre… Je veux continuer à le faire !

Sentez-vous autour de vous une vraie curiosité autour de ce thème de l’entreprise libérée, du bonheur au travail ?

Je suis débordé de demandes en ce sens ! Je suis très sollicité pour témoigner sur ces sujets. Les gens ont envie de changement et en ont marre de l’organisation hiérarchique des entreprises. Surtout les nouvelles générations ! Pour eux ça ne passe pas.

Quels conseils auriez-vous envie de donner à celles et ceux qui ont envie de créer leur entreprise ?

Quand on crée, aller le plus vite possible à la rencontre de ses clients. Et pour progresser, savoir se remettre en question. Je leur recommande aussi de se faire connaître via DoYouBuzz. J’ai moi-même remis à jour mon CV tout récemment et ça m’a permis de refaire le point sur mes contributions et mes aspirations ! Cela peut vraiment aider les indépendants à se faire connaître et à vendre leurs services. Sur notre blog il y a des exemples et des témoignages, à découvrir !