Adeline Faure-Chognard, créatrice de la marque Entre Deux Rives Afc, est de celles qui mettent de la passion dans tout ce qu’elles entreprennent. Depuis trois ans à Saint-Malo, elle regarde vers l’Afrique pour créer des ponts entre les cultures. Avec elle, la mode n’est pas que frivole, elle est aussi engagée !
Comment es-tu arrivée à la couture ?
A neuf ans, j’ai commencé la broderie… Et depuis le collège, j’avais deux envies : la couture ou le journalisme ! Après un bac général économique et social, j’ai voulu faire un DUT journalisme, mais il n’y avait que 25 places par établissement, pour 1500 demandes, et je n’ai pas été prise… Il y avait bien d’autres écoles, mais elles étaient payantes, et à ce moment-là mes parents n’avaient pas les moyens de m’aider à payer mes études. Je me suis alors inscrite à Rennes en fac d’histoire. Mais une grève a commencé qui a duré 1 mois et demi… Pour moi qui voulais rentrer dans une formation hyper sélective comme celle du DUT journalisme, c’était me fermer toutes les portes. J’ai préféré changer d’orientation.
Quelle voie as-tu pris alors ?
J’ai arrêté la fac et j’ai fait des petits boulots. J’ai travaillé dans une laiterie, en usine, j’ai fait des inventaires, etc. Le B.A.BA de l’intérim… Puis j’ai repris le chemin des études et, à la rentrée suivante, je me suis inscrite en BEP tailleur homme à Valence. Je l’ai fait en un an.
Pourquoi t’être spécialisée tout de suite en couture homme ?
Je voulais acquérir un savoir faire artisanal, en apprenant ce qu’il y a de plus compliqué dans le domaine de la couture ! (j’aime aller vers ce qui est compliqué.) Le vestiaire homme est ce qu’il y a de plus difficile à réaliser. Cela ne pardonne pas : dans un costume homme, s’il y a un défaut, cela se voit tout de suite. Pas de place pour l’approximation ! Après ce BEP, j’ai poursuivi à Brest avec un BTS Industrie des matériaux souples (les textiles), spécialité modélisme. Là il s’agissait essentiellement de couture femme.
Tout ça t’a donné une formation assez complète en couture… Avais-tu déjà une idée de ce que tu voulais faire après tes études ?
Oui et non, je savais déjà que je voulais travailler en tant qu’indépendante, et que les tissus africains allaient jouer un grand rôle dans mon univers créatif, et que je travaillerai avec l’Afrique. D’ailleurs, dès la première année de mes études en 2004, j’ai réalisé une chemise « métissée », qui a été remarquée et que je porte toujours.
Les vêtements que tu crées mêlent toujours la mode occidentale et africaine, d’où te vient ce goût pour l’Afrique ?
L’Afrique fait partie de mes gênes, mon nom, « Faure » est lié à l’Afrique ! Je viens d’une famille de pasteurs protestants installés depuis bien longtemps là-bas. Mon arrière-arrière grand-père, Félix Faure, dans ce contexte colonial a œuvré pour des projets humanistes, avec Albert Schweitzer notamment…
Et toi, as-tu grandi en Afrique aussi ?
Non, j’ai grandi en France, et j’ai visité le Togo et le Sénégal récemment. Mais ces deux voyages sont venus confirmer mon attirance pour ce continent et cette culture. Et mon goût de l’aventure…
Revenons un peu à ton parcours Adeline, qu’as-tu fait après avoir terminé tes études de couture ?
J’ai travaillé chez Sabena Technics, à l’aéroport de Dinard, dans un atelier de sellerie où je cousais pour « habiller » les avions (des sièges, des rideaux, de la moquette…) Ce fut très formateur. Je travaillais surtout avec des hommes, et j’aimais l’ambiance de cet atelier ! En 2009, je suis partie découvrir l’Afrique et le Togo. Au retour, c’était la crise, je ne trouvais pas de travail dans la couture. J’ai décidé de me former dans un domaine qui recrute : la cuisine ! Dans la région où j’habite (Saint-Malo), il y avait de la demande… J’ai fait une formation de cuisinière avec l’AFPA.
Face à la difficulté, tu n’as pas peur de prendre de grands virages ! Mais la cuisine, ça te plaisait ?
Oui, car il y a plein de passerelles entre la cuisine et la couture : dans les deux domaines, si l’on veut être bon, il faut savoir se renouveler, jouer avec les formes et les textures, être organisé et surtout rapide ! Des qualités que j’avais déjà travaillé grâce à la couture, alors la restauration, je m’y sentais assez à l’aise !
Tu as travaillé combien de temps comme cuisinière ?
J’ai fait pendant deux ans des extras en cuisine, à Saint-Malo. Puis je me suis offert un grand voyage de plusieurs mois en Inde…
Ta curiosité et ta soif de voyages ont-elles été comblées ?
Oui ! Je voulais un voyage de détente, mais aussi découvrir les richesses de ce pays et je l’ai fait à travers les tissus, l’ornementation, l’accessoire, la broderie… et aussi la cuisine ! J’ai beaucoup aimé. A mon retour, j’ai trouvé du travail aux Thermes Marins, un établissement prestigieux de Saint-Malo. J’étais très contente ! Mais quatre jours avant de débuter, j’ai été renversée par une voiture et je me suis faite une entorse au genou qui m’a obligée à déclarer forfait.
Tu as dû être déçue ! ?
Je me suis dit que c’était un signe, et que je devais retourner vers ma première voie ! J’ai trouvé un emploi de modéliste patronnière chez La fiancée du Mékong (marque de vêtements féminins née à Saint-Malo inspirée par l’Asie). J’ai travaillé dans le bureau d’études et de développement des collections. Je faisais ce que j’aime : dessiner, réaliser des patrons. J’avais des week-end de trois jours, alors peu à peu, j’ai commencé à créer mes propres vêtements, et je me suis lancée. J’ai créé Entre deux rives Afc en 2012.
Ton style est très original, qui mèle les coupes occidentales assez strictes, (on voit ta formation de tailleur), et les tissus africains comme le wax (tissu traditionnel à l’origine enduit de cire), très coloré. Comment travailles-tu ?
Je fais tout moi-même, de A à Z, et une partie du travail est faite à la main. Certains manteaux nécessitent trente heures de travail. Les tissus que j’emploie comme le drap de laine pour les manteaux ont aussi un coût. Ma marque se situe sur du haut de gamme. Depuis la création d’Entre deux rives Afc, j’ai énormément travaillé. J’ai un tempérament de battante, mais c’est parfois difficile, car il me reste peu de temps et d’argent pour gérer la partie commerciale et me faire connaître. J’aurais besoin d’aide !
Où peut-on voir et acheter tes créations ?
Les créations sont essentiellement visibles sur Facebook (page Entre deux rives Afc), sur le site internet entredeuxrives-afc.com (même s’il n’est pas du tout à jour). Et bien sûr directement à l’atelier, à Saint-Malo et un peu partout en Bretagne et sur la région parisienne lorsque je fais des salons et autres événements (magasins éphémères, etc).
Est-ce que les Africains sont sensibles à tes créations ?
Ils sont séduits car ce mélange correspond à leurs goûts actuels. La mode africaine est en pleine ébullition, et chez les Africains il y a un regain d’intérêt pour les costumes et les tissus traditionnels de leurs parents. Depuis vingt ans, les Africains portaient de moins en moins de wax. Depuis cinq ou dix ans, la tendance s’inverse : de jeunes créateurs africains se réapproprient le costume traditionnel. Ce que je fais leur parle beaucoup ! J’ai participé à des salons de mode africaine à Paris où ma marque a été très appréciée. Ici on a peu conscience de ce dynamisme de l’Afrique, pourtant c’est un continent plein de vitalité et de créativité.
Tu as participé aussi à des salons de créateurs en Bretagne ou ailleurs ?
Bien sûr, je suis très active ! En plus d’événements autour de la mode africaine à Paris, j’étais au Forum des Arts en 2014, au salon « Toute fibre dehors » à la Gacilly, et bien sûr aux Journées européennes des métiers d’art, à Dol et Saint-Malo. Mais ça ne suffit pas… Actuellement, je suis en pleine recherche de soutien et financements, car j’ai un nouveau projet pour faire vivre mon entreprise différemment, la renforcer et l’ouvrir à de nouveaux partenariats. Et j’ai aussi envie de travailler avec des femmes.
Alors parle-nous de ce projet !
L’idée est de m’entourer de couturières africaines pour réaliser mes collections, tout en soutenant concrètement une cause qui m’est chère depuis longtemps : la lutte contre l’excision. Je souhaite former au métier de couturière des jeunes femmes normalement vouées au métier d’exciseuse. En Afrique de l’Ouest, ce sont souvent les mères ou les tantes qui forment leurs filles ou nièces à ces pratiques. Dans certaines zones, comme au Mali, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, il s’agit presque d’une caste avec un statut privilégié. Pour qu’elles arrêtent, il faut leur proposer un revenu et une situation de remplacement honorable pour elles. Je peux les former en quatre mois et faire repartir ma société, tout en leur versant un revenu.
C’est une idée très intelligente et très généreuse de ta part, car ces femmes sont souvent perçues comme des bourreaux. Ton projet pourrait aider beaucoup de femmes. Tu as des partenaires pour cela ?
Je suis en contact avec des ONG qui luttent contre ce fléau en France et en Afrique : le collectif « Excision parlons-en », la Fédération nationale GAMS… Grâce à l’ONG internationale le CIAF, j’ai rencontré à Dakar le Coseprat, qui fait un travail de terrain énorme pour éduquer la population et avec qui je travaillerai. Le projet se situe à Guédiawaye, en banlieue de Dakar, où je me suis rendue en mai dernier pour rencontrer les jeunes exciseuses que je vais reconvertir à partir du mois d’octobre – si tout se passe bien…
De combien as-tu besoin pour rendre possible ce projet ?
Il me faut réunir 20 000 euros pour lancer l’atelier. Et 30 000 euros supplémentaires pour former pendant quatre mois les futures couturières. J’ai envoyé quinze demandes de subventions auprès de la Ville, du département, de la Région. Et je prépare en ce moment les patrons sur lesquels nous travaillerons.
As-tu pensé à d’autres façons de faire connaître Entre deux rives et soutenir ton action ?
Je recherche aussi des égéries… Une personnalité, africaine ou européenne, qui porterait mes créations et serait une ambassadrice de ma marque. J’ai été contactée par la chanteuse de rap sénégalaise, Sister Fa, très active dans la lutte contre l’excision. J’ai aussi rencontré à Dakar Laura Flessel, la chanteuse Inna Modja, qui étaient emballées par mon projet.
Tu n’as pas peur et tu sais frapper aux portes, c’est un bon point pour toi ! C’est un trait de ta personnalité ?
Oui, au collège déjà, j’avais écrit au ministre de l’éducation nationale, pour demander un local à vélo ! Plus récemment et sérieusement, j’ai envoyé à Fleur Pellerin quelques vêtements de mes collections. Avant qu’elle ne soit ministre de la culture, elle m’avait encouragée et félicitée. Hélas je n’ai pas encore reçu de retour. Mais je continue d’aller de l’avant pour faire la promotion de mon travail, il le faut !
Photos Marie-Hélène Siran
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