A Vannes, Delphine Grimont a créé le Piano Barge – restaurant, bar à vins, café-concert – à bord d’une péniche, côté Golfe…
Delphine il y a de quoi être impressionné par Le piano Barge ! Lorsqu’on visite le site internet avant de venir, comme je l’ai fait et qu’on découvre l’état d’origine du bateau, on se dit quel projet colossal !
Oui, j’ai mis quatre années à mettre en place ce projet. Quatre années qui m’ont demandé énormément d’énergie. Il fallait être sur tous les fronts : transformer un bateau de 1900 en établissement recevant du public a été un travail énorme !
Comment t’est venue l’idée ? Tu voulais monter un restaurant et tu as eu l’idée de l’installer sur un bateau ?
Non, pas du tout. Au départ, il y a eu un coup de cœur. C’était à Paris, sur le canal de l’Ourcq, un soir de septembre… Une péniche transformée en bar m’a tapée dans l’œil (La péniche Antipode). Je me suis dit : ce n’est pas possible que Vannes (où je vis) n’ait pas un lieu comme cela ! Ce rêve ne m’a plus quittée : créer à Vannes, une ville que j’adore, un endroit inédit et festif, sur un bateau. Une idée germait en moi aussi depuis longtemps : être en lien avec des musiciens, organiser des concerts. Ça, c’était l’envie de départ, qui m’a poussée dans cette aventure. Et une fois qu’on est lancé, on ne peut plus reculer, surtout que le budget engagé était énorme, et que je me devais de réussir, pour ne décevoir personne, à commencer par mes créanciers !
Où as-tu trouvé le bateau ?
A Amsterdam. Il a été choisi assez rapidement. Ce n’était pas un vieux rafiot en bois à retaper, mais un campinois (une péniche de mer intérieure) en acier riveté, c’était beaucoup plus ambitieux ! Tout de suite, il a fallu mener de front le bouclage financier, ce qui a demandé beaucoup de travail, et l’aspect technique : comment transformer ce bateau de 1900 en un lieu d’accueil du public, en répondant aux normes d’accessibilité et de sécurité. Une équipe a été constituée : j’ai confié le dessin à l’architecte nantais Olivier Flahault et la direction des travaux au navigateur trinitain Dominic Vittet. Mon mari aussi a été une aide très précieuse, à tout point de vue. Les travaux ont duré trois ans, à Lorient, au chantier Timolor. C’est moi qui tenais le budget (1,6 millions d’euros), et j’intervenais dans tous les aspects.
Comment as-tu financé tous les travaux ? Tu as reçu des aides de fonds publics ?
Non, aucune, car il s’agit d’un restaurant. Je n’ai reçu aucun financement de la Région, du département ou de la Ville. Le maire de Vannes était partant et a été bienveillant dès le départ, et la Ville m’a accordée les autorisations d’installation. Mais techniquement, cela n’a pas été simple de trouver une place, et il y eu de très nombreuses difficultés administratives… Le Piano Barge se trouve finalement à côté de l’embarcadère, en dehors de la Ville. Un pont sépare le Golfe du Morbihan de la Ville, le Piano Barge se situe côté Golfe. Et Vannes se tourne de plus en plus vers le Golfe…
Tu t’es faite aider pour le financement et le montage de ton dossier ?
Oui, par le réseau Initiatives Vannes, le réseau Entreprendre, par les Business Angels… Et une seule banque m’a suivie. Cela a été quand même le parcours du combattant pendant 2 ans ; il a fallu convaincre, présenter, raconter le projet, rencontrer beaucoup de gens. Ce que, au départ je n’avais jamais appris à faire. Mon mari a été pour cela d’une aide très précieuse. Il m’a fallu aussi trouver de l’argent auprès d’associés, et cela met une grosse pression, c’était lourd à porter. Tous ces gens qui me faisaient confiance en me prêtant de l’argent… je devais réussir. J’ai pris un risque, c’est vrai. Dix fois le projet a failli ne pas se faire. Il y a eu des tas de « feux rouges ». Tout était compliqué ! Et pourtant cela s’est fait ! Le Piano Barge a ouvert en septembre 2013.
Ton mari était donc à tes côtés dans ce projet ?
Oui, il a toujours été très impliqué et très motivé. Il est navigateur, il a fait plusieurs Route du Rhum. Il m’a encouragée, aidée à trouver de l’argent, à faire des présentations auprès des Business Angel. Je n’aurais pas pu le faire sans lui, cela a été fondamental de savoir que je faisais cela avec quelqu’un qui m’approuvait. Il sait trouver de l’argent, convaincre, s’appuyer sur les retours. Moi au départ, j’étais du genre, « j’ai un projet, je le garde, car si ça ne se fait pas, qu’est-ce qu’on va penser de moi ! » Lui, c’est l’inverse : il en parle au maximum autour de lui, et c’est comme cela que ça marche.
Tu as combien d’employés aujourd’hui ?
Huit, dont deux apprentis. Quatre personnes en cuisine et quatre en salle. Dès le premier jour, j’ai embauché huit personnes, et c’est ça qui était impressionnant, pour moi qui n’avais jamais eu d’entreprise ! Mais il le fallait, pour le bar et le restaurant. On a une carte très courte, mais de qualité, grâce à notre chef Cyril Jorda. C’est un restaurant semi-gastronomique, mais aussi un bar et un lieu d’accueil de réunions ou séminaires.
Tu n’avais jamais travaillé dans la restauration auparavant ?
Non. J’ai su m’entourer des bonnes personnes, nous formons une vraie équipe. J’ai appris ! Le chef prend en main vraiment toutes les commandes, son expérience est fondamentale. Je me suis aussi appuyée sur les serveurs, j’ai beaucoup appris d’eux pour le service, et moi aussi j’aide et j’essuie les verres ! Ce qui est important finalement dans l’entreprise, c’est le quotidien. Je me suis offert le plus beau bureau du monde, et je me suis entourée de gens sur qui je peux m’appuyer.
Dans quel domaine avais-tu évolué avant le Piano Barge ?
J’ai travaillé comme assistante de production pendant quinze ans à France 3. J’ai collaboré à la météo et à l’agenda culturel. Cela m’a donné l’envie profonde, quand je faisais ce travail, de me tourner vers les arts vivants. Et finalement, je me retrouve à la tête d’un restaurant…
Oui, justement, nous n’avons pas encore parlé des concerts de jazz que tu organises…
Et bien, actuellement, on est un peu entre deux eaux. Le Piano Barge a été lancé avec la volonté d’organiser des concerts, et pour cela une association a été montée, afin de prétendre à du mécénat. Et il y en a eu beaucoup. Grâce à cela, il y a eu des concerts fantastiques, ce qui a contribué à la renommée du Piano Barge. L’idée était belle : favoriser la création artistique, offrir aux artistes les meilleures conditions possibles pour travailler, mais le modèle économique n’était pas tenable, trop ambitieux. Ce n’était pas mon initiative. Cela a duré 18 mois… Avec une programmation plus simple, et des artistes locaux, l’association serait rentrée dans ses frais. Et là ça n’a pas été le cas.
Alors le Piano Barge va continuer à proposer des concerts ?
Oui, et c’est moi cette fois qui m’occuperai de la programmation. Je suis en train de monter une association avec des passionnés avec poursuite des partenariats. Mais déjà il y a plein d’événements de programmés.
De quels genres ?
La cale est à la disposition de ceux qui acceptent de produire un concert, ce fut le cas cet été avec le chanteuse de jazz Anne Sorgues qui a produit son propre quartet et l’office de tourisme de Vannes qui a produit le concert de la harpiste Laura Perrudin. Nos partenaires en cette fin d’année sont La Clique du Clic théâtre d’impro, Blue Elephant Label Electro et NS Jazz pour les soirées Bœufs. La saison Piano Barge nouvelle version s’ouvrira en janvier.
Donc, le Piano Barge s’ouvre à des artistes de différents horizons maintenant ?
Oui, c’est très bien comme cela. La demande de s’ouvrir aux musiciens locaux et à d’autres musiques que le jazz correspond à une attente forte.
Côté communication, tout est très pro, c’est une mine d’info et ta page facebook très active. Les habitués peuvent même consulter le menu de la semaine et la recevoir par mail. Qui s’en occupe ?
C’est moi, et j’adore ça, mais cela me prend énormément de temps, trop ! Cela pourrait presque occuper un plein temps ! Et le site n’est plus à jour, puisque le partenariat avec l’association est terminé. Je dois me réorganiser…
Comment se passe le partage entre travail et la vie de famille ?
Et bien, ce qui me rassure c’est que mes quatre enfants – ils ont entre 19 et 13 ans – ont tous réussi leurs examens de fin d’année ! Pour moi, c’est un très beau cadeau ; comme s’ils me disaient « tu vois maman, on assure, ne t’inquiètes pas ! ». Depuis que nous avons ouvert il y a deux ans, il y a de nombreuses soirées où je ne suis pas là. Aussi j’essaye d’être présente le soir quand ils rentrent de l’école. Et puis le dimanche et le lundi je ne travaille pas. On a pu tous partir 15 jours en vacances début août. Je pense qu’au fond mes enfants sont assez fiers et heureux de me voir à la tête de ce bel endroit. La rentrée s’est bien passée aussi, je suis sereine de ce côté là.
Le piano barge ferme en ton absence ?
Non, je délègue maintenant, j’ai confiance, mon équipe assure !
Pour terminer, Delphine, aurais-tu un conseil à donner aux Femmes de Bretagne ?
Savoir se laisser porter par son projet ! Au bout de deux ans, c’est rarement ce qu’on avait imaginé. Je pensais que j’allais m’éclater avec la musique, et comme j’ai sous-traité, j’y ai peu participé, et cela a été un souci. Par contre, je me suis prise au jeu du monde de la restauration, cela m’intéresse de plus en plus, je vais bientôt faire un stage d’œnologie, et j’apprécie mon quotidien avec eux. Je me dis chaque jour, « j’ai le plus beau bureau du monde » !
Donc, il faut de la souplesse, savoir s’adapter en cas d’échec !
Oui, et en même temps, il faut tenir bon. J’ai été obsédée par l’ouverture du bateau. Le truc qui était important c’était que ça ouvre. Je ne pouvais plus reculer, il fallait mener la barque, au mieux. L’essentiel est de savoir prendre des décisions et aussi de s’appuyer sur des compétences. Je n’ai pas parlé de ma comptable, qui vient un après-midi par semaine, et me tient un tableau de bord assez serré, ce qui est très appréciable.
Tu as accueilli plusieurs réunions et aussi l’Assemblée générale Femmes de Bretagne…
Oui, après ma rencontre avec Marie Eloy, j’étais partante ! Se réunir dans un bel endroit, c’est important. Les gens qui organisent des séminaires chez moi me disent que cela a été porteur, ils en redemandent ! Je crois beaucoup à la force des lieux…
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